13.12.11 00:00 Il y a: 84 days

Le “printemps arabe” va-t-il se transformer en “hiver chrétien”?

 

David Victor R. Youssef, de l’Organisation évangélique copte pour les services sociaux en Egypte

Les Eglises d’Egypte prient et agissent pour les migrants qui fuient leur foyer par crainte des troubles politiques, de la violence et de l’incertitude de l’avenir. Il est particulièrement nécessaire de mettre en place des sociétés démocratiques stables si on veut que le “printemps arabe” porte des fruits. Sans quoi il pourrait se transformer en “hiver arabe” pour les minorités religieuses menacées de persécution.

 

David Victor R. Youssef a exprimé son inquiétude à ce sujet lors de la réunion du Réseau œcuménique mondial sur la migration (GEM) du Conseil œcuménique des Eglises (COE) qui s’est tenue à Beyrouth, Liban, du 5 au 7 décembre, organisée par le projet du COE “Communautés justes et sans exclusive” et accueillie par le Conseil des Eglises du Moyen-Orient.

 

David Youssef, qui travaille au service de l’Organisation évangélique copte pour les services sociaux, était interviewé par Naveen Qayyum, rédactrice attitrée du COE.

 

Quelle est la situation politique en Egypte après le “printemps arabe”? Et quels sont ses effets sur la migration?

 

Cette année, l’Egypte a vécu beaucoup de changements politiques, sociaux, culturels et religieux. Pourtant, ce n’est pas la fin des luttes dans ce pays.

 

La révolution égyptienne, qui a suivi la révolution tunisienne, a inspiré de nombreux soulèvements dans la région; c’est à cela que nous nous référons quand nous parlons du “printemps arabe”. Du Golfe à l’océan, les Arabes luttent finalement pour leur liberté contre les dictateurs.

 

Alors qu’on célèbre les changements politiques spectaculaires, ceux-ci s’accompagnent d’un état d’instabilité qui pousse les personnes pauvres à émigrer vers des pays sûrs afin d’y chercher une vie meilleure.

 

Bien qu’il y ait relativement moins de troubles en Egypte que dans d’autres pays, beaucoup de personnes partent pour échapper à la violence. Dans le même temps, de nombreux Egyptiens travaillant à l’étranger, confrontés au chômage, à une situation économique difficile et à des menaces pour leur sécurité, reviennent en Egypte.

 

Cependant, en réaction à la montée des groupes islamiques radicaux après l’effondrement de l’appareil sécuritaire, beaucoup d’Egyptiens, en particulier coptes, choisissent d’émigrer vers l’Occident.

 

Pouvez-vous expliquer les événements politiques récents en Egypte?

 

Le principal événement en Egypte est le renversement du régime dictatorial. Aujourd’hui, les Egyptiens espèrent fermement engager leur pays dans une véritable transition démocratique.

 

Toutefois, de nombreux facteurs contribuent à frustrer les Egyptiens, notamment le fait que le Conseil suprême des forces armées (SCAF) tarde à quitter le pouvoir pour faire place à un gouvernement civil. Beaucoup de protestataires exigent une avance plus rapide dans cette période transitoire.

 

La montée des groupes islamiques radicaux après des décennies d’oppression exercée par l’ancien régime est aussi source d’inquiétude. Aujourd’hui, ces groupes demandent à partager le contrôle de la nouvelle Egypte. Des groupes politiques tels que Al Ekhwan al Muslmūn, Al Salafi-oun et Al Ja-ma’a Al Eslamiyya détiennent maintenant (après le premier tour des élections) plus de 40 pour cent des sièges au parlement.

 

Malgré les appels à se défaire des symboles de l’ancien régime, le SCAF et le gouvernement n’ont pris aucune véritable mesure à cet égard. Ainsi, de nombreux membres du Parti démocratique national (PDN) dissous ont formé de nouveaux partis politiques et se présentent aux élections parlementaires en cours.

 

L’échec partiel des forces libérales qui n’ont pas réussi à acquérir une majorité à l’issue de la première étape des élections parlementaires est également préoccupant. Il en résulte une situation d’incertitude qui se manifeste dans l’absence de feuille de route claire pour la période transitoire.

 

Comment cette situation affecte-t-elle les chrétiens en Egypte?

 

En conséquence du manque de sécurité, les coptes sont confrontés à des violences et des tensions sectaires croissantes, comme en témoignent les incendies criminels d’églises à Atfih, Imbaba et Assouan.

 

Lors des malheureux incidents du 9 octobre, plus de 30 chrétiens ont été tués alors qu’ils protestaient contre l’incendie criminel de l’église d’Assouan.

 

La montée des groupes radicaux en Egypte a ouvert des possibilités d’établir un Etat islamique et d’imposer les lois islamiques (charia). La réaction compréhensible des chrétiens, déjà en proie à un sentiment d’insécurité, est de s’isoler de plus en plus à l’intérieur de leurs communautés religieuses.

 

Ces événements ont aussi déclenché chez les chrétiens une vague d’émigration dont la raison principale est l’incertitude politique dans le pays. Ils craignent que si le SCAF se maintient au pouvoir, l’Egypte ne demeure sous le même régime militaire que ces 60 dernières années.

 

Ils craignent également que si le programme radical des groupes politiques islamiques se réalise, par exemple par l’établissement d’un Etat islamique, il n’y ait pas de place pour les chrétiens dans cet Etat.

 

La détérioration de la situation économique force aussi des millions de citoyennes et citoyens sans emploi à chercher d’autres occasions de travail à l’extérieur de l’Egypte.

 

L’accroissement de la violence sectaire a forcé de nombreux coptes à émigrer vers d’autres pays tels que les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. Beaucoup d’Egyptiens chrétiens se mettent en quête d’un asile religieux. Dans ces conditions, des voix s’élèvent dans la diaspora copte pour demander une protection internationale des minorités religieuses en Egypte.

 

Comment les Eglises répondent-elles à ces défis? Quelle est la réaction œcuménique?

 

Les Eglises nationales jouent un rôle décisif dans la vie sociale en Egypte. Ce sont elles qui ont sensibilisé les esprits au fait que leurs membres sont des citoyens à part entière dans leur pays.

 

De même, les Eglises s’efforcent de faire prendre conscience aux chrétiens de la nécessité de participer à la vie sociale, politique et culturelle.

 

Certains responsables d’Eglise assistent à des manifestations politiques et sociales en vue de participer à l’organisation de la nouvelle Egypte après la révolution.

 

Le 11 novembre, une grande veillée de prière œcuménique pour l’Egypte a réuni 70 000 chrétiens de toutes dénominations au monastère de Saint Sam’an El Kharaz, de 18 heures à 6 heures du matin. Les participants ont passé toute la nuit à prier pour l’Egypte.

 

A d’autres niveaux, les Eglises sont engagées dans les services aux migrants, avec un soutien spirituel assorti de programmes spéciaux pour les réfugiés, un soutien financier pour faciliter la recherche d’emplois, des aides au logement et des secours, et des conseils pour les aider à exécuter les formalités juridiques en rapport avec les demandes d’asile.

 

Plus d’informations sur le Réseau œcuménique mondial sur la migration

 

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