05.11.09 14:49 Il y a: 2 yrs

Le mur de Berlin est tombé en de nombreux endroits

 

Berlin après la chute du mur. Photo: Raphaël Thiémard

par Stephen Brown (*)

 

Les ondes de choc politiques et sociales causées par des semaines de manifestations en faveur de la démocratie en Allemagne de l’Est, puis la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, ont été ressenties dans le monde entier.

 

Le théologien sud-africain John de Gruchy se rappelle que cette année-là, alors qu’il passait un semestre sabbatique au Union Theological Seminary de New York, on lui avait demandé d’accueillir durant quelques jours le directeur d’un institut est-allemand d’études marxistes-léninistes.

 

L’ironie voulant qu’un professeur marxiste d’Allemagne de l’Est soit l’hôte d’un théologien chrétien blanc venant d’une Afrique du Sud dominée par le régime de l’apartheid n’avait pas échappé à John de Gruchy qui, pendant de nombreuses années, avait participé activement, en tant que théologien, à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.

 

Assis l’un à côté de l’autre à New York, regardant les nouvelles à la télévision, l’Allemand de l’Est et le Sud-Africain suivaient des reportages sur la crise qui prenait de l’ampleur en Allemagne de l’Est et sur l’escalade simultanée des manifestations de protestation contre l’apartheid au Cap, la ville dont venait John de Gruchy.

 

J’ai su "que cela signifiait le début de la fin de l’apartheid. […] Car sans la chute du mur de Berlin en 1989, il est peu probable qu’un changement se serait produit en Afrique du Sud", affirmait de Gruchy quelques années plus tard dans une allocution prononcée dans la ville est-allemande de Leipzig, l’un des centres des manifestations en faveur de la démocratie en République démocratique allemande qui suivaient les services de prière dans les églises.

 

"Certains ont même prétendu que ces événements étaient le prélude à un nouvel ordre mondial", notait de Gruchy dans son discours à Leipzig. "Même si nous sommes quelque peu sceptiques à l’égard de cette affirmation aujourd’hui, il est incontestable que ces événements ont changé le cours de l’histoire, quelle que soit la manière dont nous les évaluons."

 

Ce n’était pas seulement en Europe de l’Est et en Afrique du Sud que des changements intervenaient. En Amérique latine, des préparatifs étaient en cours au Chili pour des élections qui devaient marquer la fin du régime d’Augusto Pinochet, le dernier des dictateurs militaires du continent.

 

Que ce soit à Leipzig ou au Cap, des pasteurs et des militants membres de l’Eglise se trouvaient souvent au premier rang des manifestations de protestation, constatait de Gruchy.

 

En Allemagne de l’Est, le processus"Justice, paix et sauvegarde de la création" (JPSC) du COE a joué un rôle essentiel de catalyseur de la dissension, comme l’ont relevé de récentes études. Avant le Rassemblement œcuménique européen de Bâle en 1989 et le Rassemblement mondial sur la justice, la paix et la sauvegarde de la création tenu à Séoul l’année suivante, les Eglises de RDA organisèrent un Rassemblement œcuménique pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création en avril 1989. Lors de sa dernière séance, le Rassemblement formula des exigences de réforme sans précédent en RDA.

 

Pour Werner Jarowinsky, alors secrétaire du Parti communiste en charge des affaires religieuses, ces exigences représentaient "un programme complet de mise en place d’une sorte de mouvement d’opposition". En fait, les exigences du Rassemblement est-allemand devaient constituer aussi un modèle pour les mouvements citoyens et les nouveaux partis politiques fondés en cette même année 1989.

 

Aujourd’hui, deux morceaux du mur de Berlin se dressent dans les jardins du Centre œcuménique à Genève, Suisse, où le Conseil œcuménique des Eglises (COE) et plusieurs autres organisations œcuméniques ont leur siège. Ces morceaux du mur sont un cadeau offert à la Conférence des Eglises européennes (KEK) par le premier gouvernement librement élu en Allemagne de l’Est, en signe de reconnaissance du rôle joué par les Eglises dans la révolution pacifique dans ce pays.

 

Un regard différent sur des événements qui ont changé le monde

Pourtant, le théologien protestant est-allemand Heino Falcke, qui a joué un rôle clé dans la mobilisation des Eglises qui a conduit à la révolution pacifique, faisait observer récemment à quel point les Allemands de l’Est eux-mêmes eurent peu de temps, après l’ouverture du mur de Berlin, pour réfléchir à la signification de ces événements qui ont changé le monde. Ils se trouvaient en effet entièrement absorbés par les processus "à couper le souffle" qui intervenaient dans leur propre pays et qui aboutirent à la réunification de l’Allemagne onze mois plus tard, en octobre 1990.

 

Les événements qui conduisirent à la fin de la guerre froide en Europe ont souvent été présentés par les politiciens occidentaux comme une victoire de l’Occident économiquement et technologiquement supérieur sur l’Est, dit Heino Falcke, aujourd’hui à la retraite. "Mais il y a aussi une autre manière de voir les choses", ajoute-t-il.

 

Et Falcke de compléter: "Dans sa 'nouvelle réflexion', Mikhaïl Gorbatchev a dit qu’il fallait mettre fin à la guerre froide parce que l’humanité une ne pouvait pas se permettre une telle guerre et qu’elle avait besoin d’apprendre l’art de vivre ensemble. Mais ce changement de paradigme en direction de la responsabilité mondiale ne sera pas possible si des gens continuent à se considérer comme les vainqueurs."

 

L’héritage du Rassemblement œcuménique pour la JPSC en Allemagne de l’Est offre une occasion d’aller de l’avant, estime Falcke. Selon lui, le Rassemblement n’entendait pas être seulement une assemblée appelant à des changements politiques en RDA, pas plus qu’il n’était question de "changer de système pour passer du socialisme à la démocratie et à l’économie de marché"; il s’agissait plutôt de "transformer les deux systèmes dans la perspective de la mondialisation."

 

"Dans notre Rassemblement œcuménique, dit Falcke, nous avons été confrontés aux immense défis que représentent l’établissement d’une paix durable et la mise en place d’une société mondiale favorisant la solidarité sociale et un style de vie écologique, et nous avons vu cela comme correspondant à l’invitation biblique à la repentance et à la conversion."

 

[971 mots]

 

* Stephen Brown, rédacteur auprès d’ENI (Nouvelles œcuméniques internationales), titulaire d’un doctorat en philosophie, a terminé récemment une recherche sur le rôle du processus "Justice, paix et sauvegarde de la création" du COE en tant que catalyseur de la dissidence en Allemagne de l’Est dans les années 1980.

 

Voir aussi:

 

Commentaire du secrétaire général du COE à l'occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin (en anglais)

 

 

Konrad Raiser: La chute du mur de Berlin et sa signification pour le mouvement œcuménique