"Ignorés du monde entier" - visite à Yambio, Soudan
Juan Michel (*)
Le Métropolite Zacharias Mar Theophilus, de l'Église syrienne Mar Thoma du Malabar, en Inde, a fait partie de l'équipe oecuménique qui a récemment rendu visite à la région de Yambio, au Soudan. Chef lieu de l'état de West Equatoria, proche de la frontière avec la République démocratique du Congo, Yambio est un pays vert et fertile. "Mais les gens que nous y avons rencontrés se sentent ignorés - nous a dit le Métropolite Theophilus - ignorés de Khartoum, de Juba, du monde entier."
Khartoum et Juba, qui sont respectivement les capitales du Nord et du Sud Soudan, sont séparées par 1 700 kilomètres et par les blessures consécutives à 21 années de guerre civile. Le conflit opposant le Nord, essentiellement musulman, et le Sud, majoritairement chrétien, a causé près de 2 millions de morts et provoqué le déplacement de plus de 4 millions de personnes à l'intérieur du pays.
Un Accord de paix global, signé en janvier 2005, a mis fin au conflit, mais n'a pas résolu les problèmes, entre autres la mise en application d'un certain nombre de points litigieux de l'accord lui-même, comme la délimitation des frontières, la répartition des revenus pétroliers et une préparation correcte du recensement et des élections.
Essentiellement agricole, la région de Yambio a été relativement moins touchée que d'autres secteurs pendant la guerre. Mais il y a eu des tensions sporadiques entre la population locales, les Zande, et les Dinka déplacés qui sont des éleveurs. La présence dans cette région de l'Armée de résistance du Seigneur, venue d'Ouganda, constitue une difficulté supplémentaire. Ce mouvement rebelle est connu pour sa cruauté ; ses chefs sont inculpés de crimes de guerre par la Cour pénale internationale en raison des atrocités commises au cours de 21 années de conflit avec le gouvernement ougandais.
L'un des membres de l'équipe oecuménique a déclaré : "Yambio pourrait être un paradis, mais, dans les circonstances actuelles, c'est un endroit tout simplement effroyable."
Cette équipe de cinq personnes qui est allée rendre visite à Yambio faisait partie d'une visite oecuménique internationale plus vaste envoyée par le Conseil oecuménique des Églises et la Conférence des Églises de toute l'Afrique. Entre le 26 et le 31 avril, en plus de Yambio, trois autres équipes se sont rendues à Khartoum, au Darfour et à Rumbek avant de rejoindre environ 80 représentants des Églises du Soudan, des dirigeants, des femmes, des jeunes, à l'occasion d'une conférence de trois jours à Juba. Avec ces visites et cette conférence, il s'agissait d'écouter les préoccupations et les espoirs des Églises du Soudan, et de leur dire la solidarité de la famille oecuménique avec elles et avec la population soudanaise.
A la fin de la visite, nous nous sommes entretenus avec le Métropolite Theophilus:
Qu'est-ce qui vous a le plus frappé au cours de cette visite ?
La détresse de la population. Les gens continuent d'avoir peur, ils connaissent l'insécurité en raison des attaques de l'Armée de résistance du Seigneur. Beaucoup de gens vont dormir dans la brousse, ils n'envoient pas les enfants à lécole. D'un autre côté, nous avons vu des églises remplies et unies. L'Église est le seul espoir des gens. Cette visite de solidarité les a fortifiés, encouragés et leur a redonné de l'espoir.
Quelles sont pour cette région les conséquences de la présence de l'Armée de résistance du Seigneur?
Cette armée vient d'Ouganda, elle a pénétré dans la région de Yambio en assassinant des gens, en agressant des jeunes filles. L'évêque catholique lui-même est menacé. J'ignorais ce problème avant de venir, c'est seulement à la suite de cette visite que j'en ai compris l'ampleur. Les médias ne nous donnent des informations que sur ce qui se passe dans la région du Darfour. Mais le pays connaît d'autres problèmes terribles, comme par exemple la mise en oeuvre de l'Accord global de paix, et ce n'est pas facile. Cette visite nous a ouvert les yeux.
À votre avis, quel est le problème le plus urgent à aborder ?
La santé. Un très grand nombre de personnes vivent avec le VIH et le sida. Il faudrait que l'Église, la société, le gouvernement et les agences traitent ce problème conjointement. Il y a aussi des cas de malnutrition. Il faut des hôpitaux et du personnel de santé.
L'éducation représente un autre besoin urgent. Il faudrait que les Églises s'investissent davantage dans ce domaine, par de la formation professionnelle et technique, et que le gouvernement les soutienne par du financement. On a besoin d'écoles et d'une université. Actuellement, pour bénéficier de l'enseignement supérieur, il faut aller en Ouganda, ou à Juba, la capitale du Sud Soudan. Le taux de chômage important provient d'un manque de formation. Évidemment, le manque d'infrastructures n'arrange rien, et il faudrait aussi s'en occuper.
À Yambio, le gouvernement et les Églises coopèrent de façon satisfaisante, et faudrait qu'il en soit de même dans toutes les régions.
Comment votre Église, qui est tellement loin, peut-elle aider les Églises du Soudan ?
Nous prions pour le Soudan depuis de nombreuses années. La prière a un grand pouvoir, c'est une puissance qui peut changer les choses. Lorsque je serai de retour chez moi, je raconterai dans la revue de notre Église ce que j'ai vu, pour mobiliser les gens afin qu'ils prient et travaillent en faveur de la paix.
Il est vrai que, de loin, on ne peut pas faire grand-chose, mais on peut soutenir les initiatives du Conseil oecuménique, par exemple dans l'appui qu'il apporte à l'Accord global de paix. On pourrait aussi envoyer des enseignants - nous en avons beaucoup - et peut-être aussi quelques médecins. Il doit y avoir des moyens de créer une relation avec les Églises du Soudan.
Que rapporterez-vous de cette visite ?
Bien que les gens du Yambio connaissent des conditions de vie très difficiles et beaucoup d'insécurité, le système villageois leur permet de se soutenir mutuellement. Leur sécurité provient de l'amour et de l'attention des gens, pas de l'armée. C'est là quelque chose qu'il faudrait apprendre au monde moderne. Nous pensons sécurité en termes de puissance armée, mais la meilleure sécurité vient du lien qui existe dans une communauté marquée par l'amour et l'attention à l'humanité. C'est ce que peuvent nous enseigner ces villages, que notre sécurité, en définitive, est entre les mains de Dieu et dans une communauté d'amour. C'est la haine qui entraîne l'insécurité, et l'amour la sécurité. Voilà ce qu'il nous faut apprendre.
(*) Juan Michel, attaché de presse au COE, est membre de l'Église évangélique du Rio de la Plata à Buenos Aires (Argentine).
Il est possible de se procurer sur demande des photos haute-résolution de la visite oecuménique de solidarité au Soudan.
Voir les photos sur le site de la Décennie Vaincre la Violence
D'autres récits et plus d'information à propos de cette visite
Églises membres du COE au Soudan (en anglais)