En Angola, les femmes subissent encore la guerre - sous d'autres formes
par Juan Michel (*)
Le conflit armé en Angola s'est terminé il y a sept ans, mais les conséquences de quatre décennies de guerre se font encore sentir aujourd'hui. Or ce sont les femmes qui semblent le plus en faire les frais.
"Il n'y a pas de conflit ouvert en ce moment chez nous", affirme Josefina Sandemba, une pasteure de l'Eglise évangélique congrégationaliste d'Angola (IECA), qui exposait la situation à une équipe de lettres vivantes en visite dans le pays pour le compte du Conseil œcuménique des Eglises fin juillet. "Mais les armes continuent encore aujourd'hui de faire des ravages dans les communautés."
Les "lettres vivantes" sont de petites équipes œcuméniques. Dans le cadre de la Décennie "vaincre la violence" du COE, elles voyagent dans différentes régions du monde où les chrétiens s'efforcent de promouvoir la paix.
Lorsqu'en 1975, l'indépendance a été acquise au terme de 14 années de guerre avec le Portugal, l'Angola a entamé une guerre civile de 27 ans, qui a entraîné la mort de milliers de personnes, causé des déplacements internes en masse et dévasté l'économie et les infrastructures.
Malgré le boom actuel de la reconstruction d'après-guerre - l'Angola étant l'un des principaux producteurs de pétrole de l'Afrique - les deux tiers des 17,5 millions d'habitants vivent avec moins de deux dollars EU par jour, estime la Banque mondiale. L'espérance de vie n'atteint que 41 ans pour les hommes et 44 ans pour les femmes.
"Presque chaque famille a été affectée d'une manière ou d'une autre par les longues décennies de guerre. Par conséquent, les traumatismes sont extrêmement nombreux", affirme la pasteure Sandemba, qui est responsable du Département des femmes du Conseil des Eglises chrétiennes d'Angola (CICA).
Dans ce contexte, ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut, ajoute la pasteure. "Elles vivent avec d'anciens combattants, aujourd'hui démobilisés, ou avec des parents qui ont subi une amputation ou d'autres blessures et, bien souvent, elles vivent au-dessous du seuil de pauvreté."
A Luanda, la capitale du pays, "les femmes quittent généralement leur foyer à 3 heures du matin pour trouver des biens à vendre, et elles marchent à travers toute la ville, parfois enceintes ou en portant des enfants en bas âge", explique-t-elle. "Lorsqu'elles arrivent chez elles, vers 22 heures, elles auront peut-être gagné 200 kwanzas (moins de 3 dollars EU), mais si les affaires n'ont pas été bonnes, il se peut qu'il n'y ait rien sur la table pour le dîner."
Le travail harassant n'est pas la seule difficulté à laquelle les Angolaises sont confrontées. Bien qu'il n'y ait pas de données statistiques fiables, le niveau croissant de violence à l'encontre des femmes, tant à la maison que dans la rue, suscite une préoccupation généralisée.
Paulo de Almeida, chef de la Police nationale, aurait déclaré que "les viols ont lieu quotidiennement", ce qui constitue un inquiétant phénomène en progression "que personne ne peut expliquer". Toutefois, les femmes ne semblent pas être plus en sécurité chez elles.
"La question de la violence domestique prend des proportions alarmantes", affirme le pasteur José Antonio, secrétaire général de l'Eglise évangélique réformée d'Angola (IERA). Ce phénomène touche essentiellement Luanda, mais on le constate aussi ailleurs, ajoute-t-il.
Les causes de cette progression sont complexes. "La guerre a laissé la misère en héritage, ainsi qu'un impact sur la culture, et la violence domestique en est l'une des conséquences", explique le pasteur Rui García Filho, secrétaire général de l'Eglise évangélique baptiste d'Angola.
La période d'après-guerre "a vu une inversion des rôles traditionnels des hommes et des femmes", souligne Noé Alberto, un membre de l'Eglise mennonite qui est responsable du Département justice et paix de la CICA. Les hommes qui se sentent privés de leurs responsabilités considèrent le rôle actif assumé par leurs partenaires féminines comme une menace pour leur identité, et la violence apparaît bien trop souvent comme une réaction facile.
Etre aux côtés des femmes
Au cœur de Petrangol, un quartier pauvre aux rues cahoteuses et poussiéreuses de la banlieue de Luanda, le siège de l'Union chrétienne féminine déborde de rires: une quinzaine de jeunes femmes participent avec enthousiasme à une séance d'alphabétisation.
Mariana Afonso, 24 ans, mère de cinq enfants et membre de l'IERA, a expliqué à la délégation de lettres vivantes en quoi savoir lire a pu changer sa vie. "Un mari montre une autre forme de respect quand on sait lire", a-t-elle affirmé. "Et on ne doit plus subir ceux qui nous mentent", a ajouté une autre jeune femme.
"En plus d'apprendre à lire et à écrire, elles discutent des problèmes sociaux et elles cherchent ensemble des solutions", a déclaré leur enseignante, Juliana Feliciano, qui est membre de l'IECA. "Je les aide à découvrir ce qu'elles savent déjà", affirme l'enseignante, qui voit son rôle davantage comme celui d'une conseillère.
L'alphabétisation est une chose importante dans un contexte où la guerre, la pauvreté et les modèles culturels privilégiant les garçons convergent pour reléguer l'éducation des filles au second plan. Jusqu'en 2007, la CICA a mené un programme intitulé "L'alphabétisation pour le changement social", avec des groupes dans 13 provinces.
Le manque de fonds est un obstacle omniprésent. Le travail psychosocial sur les traumatismes de guerre mis en place par le Département des femmes a revu ses objectifs à la baisse et le projet de créer un centre dédié à ce travail nécessite un soutien supplémentaire de la part des bailleurs de fonds. "Alors que la communauté internationale considère l'Angola comme un pays riche, les communautés manquent des choses les plus fondamentales, or souvent, les critères des donateurs ne prennent pas en compte notre réalité", affirme António Lopes, directeur du programme d'entraide et de développement de la CICA.
Aujourd'hui, le Département des femmes de la CICA aide les petites entreprises à se développer et encourage le recours au microcrédit. Il propose également des séminaires sur l'égalité hommes-femmes dans les locaux de ses Eglises membres. "Puisque la suprématie de l'homme sur la femme reste un fait aujourd'hui, afin de vaincre la violence domestique, nous devons travailler avec les nouvelles générations", affirme la pasteure Sandemba.
En dépit des nombreux écueils, le pasteur Luis Nguimbi, secrétaire général de la CICA, fait preuve d'optimisme. "Lorsque les armes se faisaient entendre, les Eglises ont contribué à atteindre la paix. Aujourd'hui, les Eglises sont confrontées à la violence domestique - cela aussi fera partie de l'histoire."
(*) Juan Michel est le responsable des relations du COE avec les médias.
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