Transformer les fusils en socs
par Juan Michel (*)
Dix-sept ans après la fin de la guerre au Mozambique, les Eglises continuent à rassembler et à détruire des armes, et à débarrasser le terrain des munitions non explosées, afin de rendre les champs cultivables.
Quand un conflit armé se termine, l’attention du monde tend à diminuer assez rapidement. La reconstruction, en revanche, peut prendre très longtemps. Les Eglises du Mozambique en savent quelque chose, comme une équipe de "lettres vivantes" l’a appris lors d’une visite effectuée fin juillet. Les "lettres vivantes" sont de petites équipes œcuméniques qui, dans le cadre de la Décennie "vaincre la violence" du Conseil œcuménique des Eglises (COE), rendent visite à des Eglises qui s’efforcent de promouvoir la paix.
A l’aube d’un samedi matin, l’équipe de trois personnes représentant des Eglises du Portugal, de Suisse et du Brésil quitte Maputo, la capitale du Mozambique, pour se rendre dans la communauté de Chinhangwanine, à Malengani, zone rurale située à environ 90 kilomètres au nord-ouest de Maputo. Là, les trois membres de l'équipe observent la mise en œuvre d’un programme lancé par le Conseil chrétien du Mozambique (CCM) sous le titre "Transformer les fusils en socs".
Un agriculteur a découvert une bombe lancée par un avion il y a de nombreuses années, à demi enterrée dans un lopin de terre qu’il voulait cultiver. Dans le cadre du programme, l’engin ainsi que plusieurs fusils et munitions collectés dans la région sont détruits au moyen d’une explosion contrôlée.
Connu sous le nom de TAE (sigle de son nom en portugais Transformaçaõ de Armas en Enxadas), le programme géré par les Eglises fonctionne depuis 1995, trois ans après la signature de l’accord de paix qui mettait fin à 17 ans de guerre civile. Le nom du programme s'inspire de la vision du prophète Michée: "Martelant leurs épées, ils en feront des socs, et de leurs lances, ils feront des serpes."
Peu après avoir acquis son indépendance à l’égard du Portugal en 1975, le Mozambique se trouva plongé dans une guerre civile cruelle, due en partie à son implication dans la lutte contre la domination blanche dans les pays voisins, l’Afrique du Sud et la Rhodésie (le Zimbabwe d’aujourd’hui). Les atrocités commises de part et d’autre n’épargnèrent pas la population civile, jusqu’à ce qu’un accord de paix soit signé en 1992. A ce moment, la guerre et la famine avaient tué près d’un million de personnes.
Aujourd’hui, le pays enregistre une croissance économique rapide, bien que la pauvreté soit encore largement répandue puisque plus de la moitié de la population de 22 millions subsiste avec moins d’un dollar EU par jour. Entre 2000 et 2002, plusieurs inondations et une grave sécheresse ont frappé le Mozambique.
Que faire dans un pays inondé d’armes?
"Le programme TAE est une réponse à la question 'Que faire de ces fusils?' que beaucoup de personnes se posaient, après la guerre, au sein des Eglises engagées dans des activités de dialogue, d’éducation citoyenne et de réconciliation", explique le pasteur Dinis Matsolo, secrétaire général du CCM.
Le personnel du programme TAE collecte les armes auprès de communautés qui les lui remettent en échange de biens non monétaires: outils de travail, machines à coudre, vélos, voire tracteurs quand le nombre d’armes est particulièrement important. Ce programme est financé par des agences étrangères de développement et de coopération telles que Diakonia (Suède) ou Ehime Global Network (Japon).
Armando Chauque, membre de l’Eglise de la foi apostolique et responsable de la communauté de Chinhangwanine, indique à l’équipe des "lettres vivantes" que la population a reçu des matériaux de construction pour construire les salles de classe dont l’école locale avait le plus grand besoin.
"Nous devons lutter pour convaincre les gens de remettre les armes", déclare Luis Nicolau, collaborateur du programme TAE depuis sept ans. Le principal obstacle, explique-t-il, est que le programme n’a pas suffisamment de biens matériels à donner en guise de récompense. Faute de tels stimulants, les gens ont tendance à ne pas collaborer.
Selon Luis Nicolau, le TAE a collecté environ 18 000 fusils et engins explosifs en 2008. Depuis le début de ses activités, le programme a rassemblé et détruit plus de 700 000 armes et engins de guerre.
D’où viennent toutes ces armes? Selon une estimation, durant les presque trente ans de guerre – plus d’une décennie de lutte pour l’indépendance suivie de 17 années de guerre civile –, quelque 10 millions d’armes à feu ont circulé dans la population mozambicaine. Après la signature de l’accord de paix en 1992, la confiance était loin de régner entre les anciens adversaires. En conséquence, beaucoup d’armes n’ont pas été rendues, mais au contraire enterrées et cachées.
Ce n’est que lorsque la confiance s’est progressivement rétablie, notamment grâce aux efforts de réconciliation animés par les Eglises, que les gens se sont sentis assez confiants pour rendre leurs armes et révéler où se trouvaient les dépôts. Mais le temps avait passé, beaucoup de ces cachettes étaient oubliées – par exemple quand la seule personne qui connaissait la cachette était morte – et, de ce fait, on découvre encore aujourd’hui des dépôts d’armes.
"Notre guerre était atypique", indique Boaventura Zita, coordinateur du programme TAE. "Même après la signature de l’accord de paix, les rebelles ne faisaient pas confiance au gouvernement, si bien qu’ils ont caché leurs armes pour le cas où un nouveau conflit éclaterait. De ce fait, les sites de beaucoup de ces cachettes demeurent inconnus."
La transformation en actes
Avec un effectif de quelque 27 personnes, le programme TAE couvre tout le pays. La destruction des armes et engins collectés se fait soit en les "mettant en pièces" sur le site du TAE soit, si les armes sont trop nombreuses ou ne peuvent être déplacées, en les faisant sauter à la dynamite.
Ce travail est exécuté par des techniciens spécialisés mis à disposition par les forces de sécurité de l’Etat. Selon le contrat conclu entre le gouvernement et le CCM, ceux-ci ne sont pas autorisés à intervenir dans les négociations avec les communautés, ni à interroger les personnes qui remettent des armes.
Mais parfois, les armes collectées ne sont pas simplement détruites: beaucoup deviennent des matières premières pour la réalisation d’œuvres d’art. C’est ainsi que l’équipe des "lettres vivantes" a rencontré Cristovao "Kester" Estevao, qui travaille à un monument pour la paix sur le front de mer de la baie de Maputo. L’œuvre représente un gigantesque globe terrestre et une colombe, entièrement fabriqués à partir de pièces d’armes à feu remises dans le cadre du programme TAE. Ces dernières années, plusieurs artistes ont tenu à participer à cet aspect du programme.
"Le programme TAE est centré sur la transformation", souligne Dinis Matsolo. C’est la raison pour laquelle il n’achète pas les armes en les échangeant contre de l’argent, mais offre des biens matériels en tant que source de motivation. "Etant donné que la paix n’est pas une question individuelle, les communautés doivent être impliquées en tant que telles; par conséquent, les biens servant de stimulants sont aussi collectifs, explique-t-il. Le but est de mobiliser et de sensibiliser les communautés en faveur d’une culture de la paix."
(*) Juan Michel est responsable des relations du COE avec les médias.
Visite de "lettres vivantes" au Mozambique et en Angola
Eglises membres du COE au Mozambique