La violence aux Philippines: une mère raconte
Par Aneth Lwakatare (*)
"Tout a commencé en mai 2010", raconte Yna (nom fictif), mère d'un garçon de 17 ans, Yuri, à un groupe de représentants d'Eglises du monde entier venus aux Philippines début décembre pour observer la situation des droits de la personne dans le pays. "Un groupe de militaires avait été envoyé dans notre village pour surveiller le déroulement du scrutin à venir. L'élection a eu lieu mais les militaires ne sont pas partis. Nous savions pourquoi ils restaient: ils voulaient recruter des mineurs dans l'armée."
"Mon mari et moi n'étions pas d'accord d'envoyer notre fils dans l'armée. Yuri ne voulait pas s'enrôler. Les militaires ont commencé à nous menacer et nous avons subi toutes sortes de harcèlement. Ils ont même convoqué mon fils de 11 ans", poursuit Yna.
Elle explique que la situation a empiré le 28 août. Son fils était invité à une fête pour les jeunes organisée au village par les militaires. A la fin de la fête, son fils a été accusé de harcèlement sexuel après être entré sans s'en rendre compte dans une pièce réservée aux jeunes filles. Aucun témoin n'a pu étayer les accusations de harcèlement sexuel et la victime supposée dément avoir été harcelée.
Cela n'a pas empêché son fils de se faire sauvagement tabasser par des soldats qui sont allés jusqu'à le menacer de le tuer s'il disait quoi que ce soit de ce qui lui était arrivé. "Mon fils est arrivé à la maison en pleurant; il souffrait des blessures qui lui avaient été infligées", explique Yna. Ce sont deux vigiles du village qui l'ont ramené à la maison.
Craignant pour la sécurité de sa famille, Yuri n'a raconté son histoire à personne pendant trois jours. Il lui a fallu du temps pour s'ouvrir et dire ce qui lui était arrivé. Ses blessures physiques ont mis du temps à cicatriser, mais elles ont fini par disparaître avec le temps.
"Les blessures n'étaient pas les seules preuves de la violence qu'a subie Yuri. Son comportement a changé et il est devenu un enfant violent", déclare Yna avec tristesse. "Il en est même venu à me menacer de me tuer. Yuri n'était plus le fils que j'avais élevé."
Avec l'aide du Conseil national des Eglises des Philippines et de l'organisation de défense des droits de la personne Karapatan (Alliance pour l'avancement des droits du peuple), la famille a pu amener Yuri à l'hôpital afin d'établir un bilan psychologique. On lui a diagnostiqué un désordre mental. Yuri a alors été envoyé dans un hôpital psychiatrique où il a séjourné pendant quelques temps.
Yna a retrouvé son fils en bien meilleure condition quand il est sorti de l'hôpital, mais les médicaments que les médecins lui avaient prescrits étaient trop chers pour sa famille. Sa santé mentale a donc recommencé à se dégrader.
Depuis, Yna et sa famille proche ont déménagé à Manille, car ils ne sont plus en sécurité dans leur ancienne demeure. On lui raconte que les militaires continuent de harceler et de menacer d'autres membres de sa famille restés au village, afin de savoir où sont partis Yuri et sa famille.
"Je n'avais jamais envisagé de déménager à Manille, mais dans ce contexte, nous n'avions pas le choix", explique Yna. Elle ajoute que le fait de vivre à Manille ne l'empêche pas de se faire du souci. "Nous rêvons du jour où nous nous sentirons à nouveau en sécurité", conclut-elle.
Le groupe de chrétiens d'Asie, d'Afrique, d'Europe, du Canada et d'Australie s'était rendu aux Philippines en tant que "Lettres vivantes" au nom du Conseil œcuménique des Eglises (COE), afin de s'informer sur la situation actuelle des droits de la personne et sur les actions menées par les Eglises contre la violence.
Cette visite de Lettres vivantes était l'une des nombreuses visites effectuées au cours des trois dernières années par des délégations œcuméniques dans différents pays, en prévision du Rassemblement œcuménique international pour la paix (ROIP), qui se tiendra en mai 2011 en Jamaïque. Ces visites ont pour objectif d'accompagner les Eglises qui, cernées par les conflits et la violence, aspirent à la paix, à la sécurité et à la réconciliation.
(*) Aneth Lwakatare, d'origine tanzanienne, est stagiaire au département de la communication du COE.
Plus d'informations sur la visite de Lettres vivantes aux Philippines
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